La cour de cassation confirme qu’un expropriant ne peut, à l’avance, faire renoncer le propriétaire exproprié à son droit de rétrocession

Au cas où le bien exproprié n’est pas affecté à l’opération déclarée d’utilité publique, le propriétaire exproprié dispose d’un droit de rétrocession, c’est‑à‑dire de la faculté de retrouver la propriété de son bien (en contrepartie de la restitution de l’indemnité d’expropriation). Ce propriétaire exproprié (ou ses héritiers) a 30 ans pour exercer ce droit. expropriation specialiste

Ce droit de rétrocession est la réciproque logique de l’obligation qui pèse sur l’expropriant d’affecter le bien exproprié à l’objet de la déclaration d’utilité publique dans les 5 ans suivant l’ordonnance d’expropriation (c’est‑à‑dire l’ordonnance de transfert de propriété signée par le juge de l’expropriation).

Ainsi, selon l’article L421‑1 du code de l’expropriation : « Si les immeubles expropriés n'ont pas reçu, dans le délai de cinq ans à compter de l'ordonnance d'expropriation, la destination prévue ou ont cessé de recevoir cette destination, les anciens propriétaires ou leurs ayants droit à titre universel peuvent en demander la rétrocession pendant un délai de trente ans à compter de l'ordonnance d'expropriation, à moins que ne soit requise une nouvelle déclaration d'utilité publique. » avocat

Pour tenter de contrecarrer ce droit légitimement accordé par la loi aux expropriés, l’autorité expropriante a parfois l’habitude d’imposer au propriétaire exproprié de renoncer à ce droit de rétrocession, dans l’acte notarié constatant le paiement des indemnités d’expropriation (acte de quittancement des indemnités d’expropriation improprement qualifié parfois de traité d’adhésion à ordonnance d’expropriation).

Cette mauvaise habitude de certains expropriants a justement été censurée par la cour de cassation dans un arrêt du 19 janvier 2022 (Cour de cassation, 3ème chambre civile, 19 janvier 2022, n°20-19.351).

Dans cette affaire, après l’ordonnance de transfert de propriété du juge de l’expropriation, l’expropriant avait justement fait signer à l’exproprié une convention contenant une clause par laquelle il renonçait à son droit de rétrocession des locaux expropriés. Une fois les indemnités d’expropriation versées, l’expropriant n’avait pas affecté ces locaux expropriés à la destination prévue par l’arrêté de déclaration d’utilité publique (réserves foncières destinées à la réalisation d’une opération d’urbanisme) et l’ancien propriétaire avait donc demandé la restitution de l’immeuble exproprié. avocat specialiste

► La clause selon laquelle l'exproprié a renoncé à l'avance au droit de rétrocession n'est pas valable

Dans son arrêt, la cour de cassation tranche cette question de droit en rappelant qu’une personne ne peut renoncer à un droit tant que les conditions de sa mise en œuvre ne sont pas réunies et donc tant que ce droit n’est pas encore né.

Selon la cour de cassation, la renonciation au droit de rétrocession par le propriétaire exproprié n’est envisageable que si ce droit de rétrocession est acquis : Gilles CAILLET avocat

« L'exproprié peut renoncer au droit de rétrocession, qui relève de l'ordre public de protection, une fois celui‑ci acquis.

Ce droit ne peut être acquis tant que les conditions de sa mise en œuvre ne sont pas réunies, soit cinq ans après l'ordonnance d'expropriation si les biens n'ont pas reçu la destination prévue par la déclaration d'utilité publique ou ont cessé de recevoir cette destination, soit, avant même l'expiration de ce délai, si le projet réalisé est incompatible avec celui déclaré d'utilité publique.

Il s'ensuit que la cour d'appel a retenu, à bon droit, que Monsieur D… n'avait pu valablement renoncer à son droit de rétrocession dans une convention conclue le 28 juin 2007 avec l'expropriant, dès lors que son droit n'était pas encore né à cette date. »

Dans cette affaire, la cour de cassation a donc décidé que la clause de renonciation n’était pas valable et que le propriétaire exproprié était parfaitement fondé à exercer son droit de rétrocession.

Cet arrêt de la cour de cassation ne peut qu’inciter les autorités expropriantes à faire preuve de sagesse en s’abstenant d’imposer des clauses de renonciation à droit de rétrocession, et à faire preuve de loyauté en informant systématiquement les anciens propriétaires lorsque les biens expropriés n'ont pas reçu la destination prévue par la déclaration d'utilité publique ou ont cessé de recevoir cette destination, pour leur permettre de décider s’ils exercent ou pas leur droit de rétrocession.

Expert en expropriation depuis plus de 20 ans, Gilles CAILLET assiste les propriétaires expropriés et les conseille sur les projets d'actes notariés concernant une expropriation.